Mon nouveau livre, Le Grand livre des faits divers (éd. Hors Collection), co-écrit avec Nathalie Weil, est en librairie depuis hier. Pour vous donner un aperçu de ce gros volume, en voici l'avant-propos…
Combien
d’affaires dans ces pages, combien de faits divers terribles, sanglants,
sordides réunis ici ? Plus de soixante-dix, ce qui n’est pas peu, on en
conviendra. Mais combien de crimes cela recouvre-t-il, combien de morts
violentes, combien de cadavres semés de chapitre en chapitre ? Le compte serait
effarant à coup sûr, nombre des meurtriers assemblés dans cet ouvrage ne
s’étant pas contentés de tuer une fois : deux morts pour les sœurs Papin,
quatre pour Marc Dutroux, cinq pour Jean-Claude Romand, sept pour Michel
Fourniret, une dizaine pour Jeanne Weber, onze pour l’élégant Landru, dix-huit
pour Thierry Paulin… Triste et tragique
comptabilité qui ne dit rien de la réalité de ces histoires, ni du désarroi des
victimes, ni du parcours et des motivations des coupables. Pas question, on le
comprendra, d’établir ici des records ou des palmarès de l’horreur, mais bien
d’essayer de saisir les ressorts profonds de ces actes, d’approcher un peu du
mystère de ces tueuses et de ces tueurs qui ont, chacun à leur manière, défrayé
la chronique au cours des dernières décennies.
Pour
y parvenir, nous avons regroupé ces affaires, qui couvrent tout le XXe
siècle dans notre pays (à quelques exceptions et ouvertures internationales
près), en diverses catégories thématiques, selon des critères de différentes
natures : le mobile des criminels, leur motivation, leur mode opératoire,
leur profil, le lien particulier qui les unit à leurs victimes, etc. : crimes
familiaux ou en série, crimes vénaux ou par passion, crimes de haine ou crimes
de couple… À chaque fois, avant de plonger dans le grand bain du récit de
crimes emblématiques, nous avons tenté de faire apparaître les caractéristiques
spécifiques de chacune de ces catégories, d’en souligner les traits communs et
les lignes de force. À chaque fois également, nous avons choisi d’aller plus
loin que la seule psychologie ou que l’éclairage d’autres disciplines pour
décrypter ces histoires en s’aventurant du côté des artistes : comment la
littérature, le cinéma, le théâtre… s’emparent d’un crime réel et en font autre
chose, une œuvre subjective, une relecture complète, qui marque les esprits et,
parfois, s’impose sur la réalité.
En
multipliant ainsi les angles pour parler des faits divers, nous avons voulu
cerner non seulement les tenants et aboutissants de ces affaires, non seulement
leurs récurences, leur contexte, leurs répercussions, non seulement le profil
des criminels… mais aussi la fascination que ces histoires de sang et de mort
exercent depuis toujours sur l’opinion publique en général et sur chacun
d’entre nous en particulier : c’est ce dont témoigne la multiplication à
l’infini de comptes-rendus dans la presse, d’ouvrages de toute nature et
d’émissions de télévision aux scores d’audience flatteurs.
Cette
popularité du crime ne se dément pas, bien au contraire, au fil du temps.
Pourtant, suivant les périodes, ce ne sont pas toujours les mêmes types de
crimes qui font la « une » des journaux et bouleversent leurs
lecteurs : les assassinats d’enfants sont depuis longtemps considérés comme les
pires, les plus abjects, ceux qui les commettent présentés comme les pires des
monstres. Ranucci, Patrick Henry, petit Gregory… on ne compte plus les affaires
dont les enfants furent les victimes qui ont ainsi bouleversé la France. Depuis
quelques années, bien aidés par l’inflation de films les mettant en scène, les
tueurs en série et leurs macabres parcours les ont rejoint au fronton
médiatique du fait divers.
Chaque
époque a ses crimes représentatifs et symboliques, et certaines de ces affaires
sont entrées dans l’Histoire, soit par leur résonance dans la société, soit par
les débats qu’elles ont alimentés, accompagnant parfois des changements
législatifs majeurs, notamment autour de la peine de mort et de son abolition :
de ces échos, qui dépassent le seul cadre des faits divers relatés dans ce
livre, nous avons également voulu porter témoignage.
Pour
autant, aussi large que soit le panorama du crime que nous avons voulu saisir,
il n’en reste pas moins partiel. Les catégories que nous avons identifiées et
déclinées ont beau être vastes, elles ne couvrent pas tout le champ des
possibles : on ne croisera pas dans ces pages de morts consécutives à des
violences conjugales, pas non plus d’assassinats liés au terrorisme ou de morts
découlant d’actes de grand banditisme… Pourquoi ? Parce que nous avons choisi
de ne pas traiter des morts accidentelles (suite à des coups mais sans
intention de tuer, ou de fusillades pour protéger une fuite…) ni des crimes
idéologiques commis par un groupe (politique le plus souvent) constitué.
En
dépit de ces absences, parcourir ce livre, c’est constater l’immensité du
continent criminel. C’est aussi en percevoir l’infinie complexité : il n’y a
jamais une cause unique à un crime, jamais une seule explication n’est
suffisante pour le percer à jour. Et nous ne prétendons pas épuiser l’énigme
des motivations humaines. L’organisation des chapitres de cet ouvrage en porte
la trace : les faits divers qui y sont racontés ne se limitent pas à la catégorie
dans laquelle ils sont classés. La plupart les excèdent, correspondent à
l’évidence à l’une tout en relevant aussi d’une ou plusieurs autres. Marc
Dutroux, par exemple, abordé dans le chapitre « Séquestrations » est
aussi un tueur en série, et il est coupable de crimes envers des enfants… Nous
l’avons rangé dans cette catégorie parce que cette dimension de ces crimes —
l’enfermement, pour de longues périodes, de ses victimes avant leur mort — est
très singulière, très marquante et, pour tout dire, déterminante dans
l’appréhension de ses actes. Cette porosité entre les histoires et les
chapitres confirme bien, au-delà des drames qu’ils recouvrent, l’incroyable
richesse humaine et psychologique des faits divers. C’est ce qui les rend
captivants, insaisissables, passionnants. C’est ce que nous avons eu l’ambition
de transcrire avec ce livre…