vendredi 18 septembre 2015

Le Grand Livre des faits divers : deux interviews

Sorti le 20 août dernier, mon dernier livre, Le Grand Livre des faits divers (éd. Hors Collection), commence à faire parler de lui. Ouest France et Le Télégramme m'ont consacré deux interviews à l'occasion de la première séance de dédicace, le 12 septembre, à Auray.






Conférence sur Werner Schroeter, à Lyon

J'ai eu le plaisir de faire au mois de mars une conférence sur le cinéaste allemand Werner Schroeter. C'était à Lyon, au Goethe Institut, dans le cadre du festival Ecrans Mixtes. Mon intervention était suivie par la projection d'un des grands films de Schroeter, La Mort de Maria Malibran (1971). La salle était comble, et très réceptive. Grâce à Philippe Grandjean qui a tout filmé, voici la captation de cette conférence. Qu'il en soit très sincèrement et chaleureusement remercié.


Découverte d'un long article sur L'Homosexualité au cinéma

J'ignorais l'existence de ce long et élogieux article de la revue Inverses paru lors de la sortie de mon livre sur L'Homosexualité au cinéma, en 2007. Merci à son auteur, Samuel Minne, de me l'avoir transmis.


Une belle saison de festivals

Saint-Etienne, Paris, Besançon, Lyon, Grenoble, Lille, Nice… La saison 2014-2015 des festivals LGBT fut riche et passionnante pour moi, avec de belles rencontres, des conférences bien accueillies et des découvertes de films à foison. 

Le jury du festival In&Out à Nice : Emilie Jouvet, Xavier Héraud, Dana Osi, moi. Et Benoît Arnulf, le directeur du festival. Photo : Xavier Héraud.
Le pic de cette "tournée" fut sûrement Nice en mai dernier, puisque je faisais partie du jury de ce In&Out aux côtés de la réalisatrice Emilie Jouvet, du journaliste de Yagg Xavier Héraud et de Dana Osi, la vice-présidente du Centre LGBT de Nice : nous y avons couronné notamment, au terme de dix jours intenses mais aussi formidablement joyeux et doux, Je suis Annemarie Schwarzenbach, de Véronique Aubouy (meilleur film), Vivant !, de Vincent Boujon (meilleur doculentaire) et Le Chanteur, de Rémi Lange (prix du jury). 
Ce moment fut également important pour moi car c'est à Nice, pendant le festival, que j'ai fêté mon anniversaire, au milieu de toute l'équipe. Ce fut un beau moment que Xavier Héraud a eu la gentillesse de raconter sur son blog, dans le journal quotidien qu'il a tenu de ces dix jours inoubliables.

http://xavier.yagg.com/author/xavier/

Quant à la tournée, elle reprend en ce mois de septembre à Orléans pour D'un bord à l'autre…

Tellement gay !, documentaire de Maxime Donzel

Avec Tellement gay !, Maxime Donzel réalise un épatant documentaire sur la culture LGBT hier et aujourd'hui, diffusé cet été sur Arte, et bientôt disponible en DVD. Entre nombreuses et formidables archives et témoignages très divers, un film riche, ludique et précis. Lady Bunny, Christophe Martet, Céline Sciamma, Didier Lestrade, Rosa von Praunheim, Dan Savage, Lea Delaria font partie des nombreux intervenants. Moi aussi, et je n'en suis pas peu fier.

Pour celles et ceux qui ont raté ces deux épisodes, ou qui veulent se rafraîchir la mémoire et en attendant le DVD, voici le teaser :

https://youtu.be/MjnLpToQIiM

L'amour des marges, chronique pour Hétéroclite (septembre 2015)

Les marges influencent le centre, les artistes en marge sont essentiels à la création… Illustration dans Feux croisés, ma chronique d'Hétéroclite ce mois-ci…

Bien sûr, il y a les super héros et les productions spectaculaires. Et parfois, souvent, s'y nichent des interrogations sur l'identité qui font un instant peut-être vaciller les certitudes des spectateurs innombrables. Et puis, aujourd'hui comme hier, il y a les marges, les œuvres fragiles, discrètes, singulières, peu vues lorsqu'elles apparaissent mais qui travaillent à long terme, et qui changent fondamentalement les regards bien au-delà de ceux des premiers curieux à les avoir découvertes. Les marges sont primordiales. C'est d'elles que viennent les changements, elles qui nous bousculent, d'elles que viennent les transformations qui, un jour, toucheront le centre : que ce soit celui de la société ou celui du cinéma. Kenneth Anger, à 90 ans, est la preuve vivante que les marges sont indispensables. C'est dans leur cadre qu'il élabora, en 1947, un chef-d'œuvre poétique et érotique qui marqua la naissance du cinéma underground et qu'il donna à celui-ci cette coloration gay qui le marqua à jamais. Le film s'appelait Fireworks, 14 minutes inouïes, impensables en ces temps puritains, et qui fascinent aujourd'hui encore. L'art inventif, sexy, stupéfiant (parfois ésotétique et déroutant) d'Anger — célébré à Lyon par le festival Ecrans Mixtes il y a trois ans — se trouve réuni désormais en un coffret DVD bourré de compléments aussi passionnants que les films. 
Les marges, le Français Joseph Morder connaît lui aussi. C'est là qu'il a entrepris depuis près de quarante ans une œuvre multiforme, dominée par un journal filmé au long cours, dont le mix de pudeur et de franchise a influencé ceux qui ont eu la chance de le voir, Rémi Lange en tête. Morder ne s'est que rarement essayé au long métrage de pure fiction. C'est ce qu'il fait avec La Duchesse de Varsovie, où, devant des décors peints stylisant un Paris intemporel et magnifié, deux secrets se rencontrent : celui d'un beau jeune homme triste (Andy Gillet), et celui de sa grand-mère (Alexandra Stewart). Il est gay et ne l'a jamais dit à sa famille. Elle est rescapée des camps de la mort et n'en a jamais parlé. La caméra sensible de Morder, habituée aux confidences, enregistre leurs silences, leurs paroles, leur confiance, leur tendresse comme aucun cinéaste de blockbuster ne saurait le faire. C'est dans les marges, décidément, que se joue l'essentiel…

Coffret DVD Kenneth Anger, éd. Potemkine.
La Duchesse de Varsovie, de Joseph Morder, éd. DVD : Epicentre Films.

Corsets, chronique pour Hétéroclite (juillet 2015)

Il faut regarder derrière les apparences… C'est ce qui ressort de cette livraison de Feux croisés, ma chronique culturelle mensuelle pour Hétéroclite.

Il y a les apparences. Il y a ce qui les ronge. Il y a ce qui semble immuable. Et il y a ce qui bouleverse tout. Il y a le lisse. Et ce qui donne du relief. Sarah Waters est peut-être celle qui sait le mieux tout cela, celle qui en joue, celle qui s'en joue, celle qui met en joue les conventions en donnant l'impression de les respecter. En cela, la jeune romancière britannique est la digne héritière d'un grand cinéaste américain fasciné par la britannité, James Ivory, comme elle irrésistiblement attiré par l'époque victorienne, son puritanisme, son corsetage des corps et des mœurs, et par tout ce qui pousse des hommes, des femmes, à tenter de s'en affranchir pour respirer, pour vivre, pour aimer. Comme Ivory, Waters use des formes les plus classiques pour raconter ces libérations qui sont autant de petites révolutions. Ses romans, Caresser le velours hier, Derrière la porte aujourd'hui, comme Maurice, le beau film qu'Ivory a, il y a près de trente ans, tiré du roman posthume de E.M. Forster, sont ainsi, de prime abord, d'admirables hommages presque mimétiques à la littérature, à l'art et aux représentations de cette fin du XIXè siècle/début du XXè, de cette société rigide et figée où le plaisir et le désir étaient réfrénés, empêchés, interdits. 
Et c'est ici que Waters, comme Ivory, chamboulent tout, reprenant les codes de cet art de la frustration que fut l'art victorien pour les pervertir via, justement, ces désirs et ces plaisirs réprimés, et qui tout d'un coup explosent aux yeux du monde, et tant pis s'il faut en payer le prix pour vivre sa vie. C'est ce que fait Maurice chez Ivory en se lançant à corps perdu dans sa passion pour un beau garde-chasse, là où d'autres protègent leur carrière et leur rang social en se claquemurant dans des mariages de façade. C'est ce que fait aussi Frances, l'héroïne de ce passionnant clin-d'œil aux feuilletons populaires d'antan qu'est Derrière la porte, en nouant une passion bouleversante avec sa jeune locataire, une femme (mal) mariée, et en l'accompagnant sans faillir dans cette liaison marquée par un crime. Les apparences, chez ces deux auteurs, sont trompeuses : derrière le classicisme absolu se cache la modernité…

Sarah Waters, Derrière la porte, éd. Denoël
Coffret DVD James Ivory, MK2 Edition.

mercredi 2 septembre 2015

Le Grand Livre des faits divers : extraits (3)

Troisième extrait issu de mon dernier ouvrage, écrit avec Nathalie Weil, LE GRAND LIVRE DES FAITS DIVERS qui vient de sortir aux éditions Hors Collection. Le début du texte consacré à Thierry Paulin, qui vola et tua une vingtaine de vieilles dames au milieu des années 1980…

Il en avoua vingt et un. La justice en retint dix-huit. Mais peut-être y en eut-il près de trente. Des vieilles dames. Des dames seules. Des victimes idéales. Sans défense. Il aurait pu juste les escroquer, les délester de leurs maigres économies. À quoi leur servaient-elles, ces économies, leur vie était finie de toute manière… Et pourquoi prendre des risques en les laissant en vie ? Autant qu’elles crèvent, ces vieilles choses qui n’intéressaient personne, autant qu’elles en bavent comme lui en bavait, mais lui il était jeune, et beau, et plein de rêves : des paillettes, de la drogue, du sexe… Alors vingt et un, ou dix-huit, ou trente, quelle importance ?
Voilà Thierry Paulin, le « monstre de Montmartre », le « tueur de vieilles dames », celui qui affola la police, la presse, le monde politique et l’opinion tout entière de 1984 à 1987, durant trois longues années où il se livra à ses macabres activités, celui dont les experts affirmèrent « l’absence de tout sens moral ». Tuer pour vivre, ce fut tout son programme. Tuer pour s’enivrer. Tuer, de la plus sordide des manières, pour pouvoir ensuite parader et briller. Tuer pour continuer à rire, à s’étourdir, à faire la fête, à flamboyer dans les cabarets, à reprendre sur scène, dans des robes sexy, les chansons de son idole, Eartha Kitt, celle dont Orson Welles disait qu’elle était « la femme la plus excitante du monde »… Voilà Thierry Paulin, le « nègre blond à la beauté brutale », comme le décrira en une forte allitération un journaliste, monstre et diva, serial killer et reine de la nuit…
À l’origine, il y a un enfant métis de Martinique, un enfant sans père – le sien disparaît dans la nature le 30 novembre 1963, deux jours après sa naissance –, un enfant né d’une mère à peine adolescente – Rose-Hélène n’a que 17 ans –, un enfant très vite confié à une grand-mère trop occupée ailleurs, par le restaurant qu’elle dirige à L’Anse-à-l’Âne, pour véritablement jouer son rôle d’éducatrice. À l’origine, il y a donc une enfance malheureuse, solitaire, un manque de présence masculine, un lien conflictuel avec les femmes. Avec Thierry Paulin, les psychiatres ont de quoi faire tourner leur moulin : ils ne s’en priveront pas lorsqu’ils iront l’examiner en prison, expliquant à l’envi les raisons profondes du choix de ses victimes par les carences de son enfance. Des femmes sur lesquelles défouler sa rage, des grands-mères auxquelles faire payer, littéralement, ce que la sienne ne lui a pas offert. D’où les violences, d’où l’acharnement, comme si Paulin trouvait enfin là de quoi libérer une colère si longtemps contenue, exutoire d’une histoire familiale où il n’a jamais eu de place – l’argent, les petites sommes dérobées au terme de ces séances d’horreur, n’étant dès lors qu’un prétexte.

LA SUITE EST A LIRE DANS LE LIVRE…

Le Grand Livre des faits divers : extraits (2)

Deuxième extrait issu de mon dernier ouvrage, écrit avec Nathalie Weil, LE GRAND LIVRE DES FAITS DIVERS qui vient de sortir aux éditions Hors Collection. Le début du texte consacré aux fameuses sœurs Papin, Christine et Léa, deux bonnes qui, en février 1933, assassinent sauvagement leurs patronnes…

Il faut bien avouer qu’on ne sait pas, que personne ne sait, que quatre-vingts ans après les faits, le mystère reste le même, plus épais peut-être encore en raison de tout ce qui a été écrit, en tous sens, sur l’affaire. Restent les hypothèses, les conjectures. Oh pas sur les crimes, non, pas non plus sur l’identité des coupables. Mais sur ce qui a engendré cette violence, cette horreur découverte par les gendarmes : des yeux arrachés, des visages broyés, des corps lacérés de multiples coups de couteau, et du sang, du sang, du sang, des éclaboussures de sang sur les murs, jusqu’à 2m15 de hauteur, les flaques sur les parquets, des traînées de sang sur les cadavres et les vêtements, une vision d’apocalypse avec quatre femmes pour sinistres héroïnes. Deux tueuses et deux victimes, deux sœurs contre une mère et sa fille, deux employées contre deux patronnes.
Tout de suite, dès le lendemain du crime, la bataille fait rage, dans la presse, dans la rue, entre les experts. La politique, la psychanalyse, la morale s’en mêlent. On utilise des mots lourds de sens pour espérer cerner ce qui résiste à toute explication rationnelle : lutte des classes, paranoïa, homosexualité… Dans les articles, on peut lire : crime de haine ; crime de folles ; crime de classe ; crime pervers ; crime de revanche sociale.… La justice retiendra au final le « crime de colère » qui ne correspond à rien juridiquement… Qu’importe. Les explications s’empilent, se contredisent, s’annulent, se confondent, sans qu’aucune soit complètement convaincante. Peut-on poser l’hypothèse que plusieurs de ces explications se conjuguent et se renforcent, la colère accumulée et la folie principalement, pour essayer de comprendre l’hallucinante tuerie du 2 février 1933 au 6, rue Bruyère, au Mans ?
Hallucinante, oui, tant tout semble hors du commun dans le double crime qui se déroule en cette fin d’après-midi tranquille, dans le huis clos d’une maison bourgeoise de la capitale de la Sarthe. Le motif. Les circonstances. La férocité déchaînée. L’attitude des coupables. Rien ne semble normal dans cette histoire, ni la gratuité des crimes ni le détachement complet des criminelles, et c’est bien l’insondable absolu de cette énigme qui a immédiatement fasciné, et sa dimension obstinément incompréhensible qui continue à sidérer.
Tout commence avec un fer à repasser en panne. Déjà, la veille, il avait fallu le faire réparer, provoquant du retard dans le travail des deux domestiques de la famille Lancelin, deux sœurs, Christine et Léa Papin, des filles appliquées, sérieuses, des perles selon l’avis général, un peu étranges et renfermées sur elles-mêmes certes, mais jamais prises en défaut de paresse ou de négligence depuis sept ans qu’elles sont au service de la maison.

LA SUITE EST A DECOUVRIR DANS LE LIVRE…

Le Grand Livre des faits divers : extraits (1)

Regroupées par type de crimes (crime passionnel, familial, en série, en couple…), plus de 70 grandes affaires françaises du XXè siècle son évoquées dans LE GRAND LIVRE DES FAITS DIVERS, mon nouveau livre (coécrit avec Nathalie Weil) qui vient de sortir aux éditions Hors Collection. Dix-huit de ces histoires emblématiques et très marquantes (celles de Marc Dutroux, Florence Rey et Audry Maupin, Eugen Weidmann, Patrick Henry ou Pauline Dubuisson par exemple) sont longuement racontées. Voici donc sur ce blog quelques extraits de ces récits pour vous mettre l'eau à la bouche, je l'espère. Premier extrait : le début du texte consacré à Jean-Claude Romand, l'affabulateur qui tua toute sa famille en janvier 1993…

Peut-être que tout son destin est lié à un petit mot épais, barbare, un petit mot sans grâce. « Aptonyme ». Peut-être que tout le drame à venir est lové dans ces quatre syllabes qui, dès sa naissance, annonçaient la friction à venir entre le réel et la fiction. Aptonyme. Comme la vie future d’un boulanger semble déjà écrite malgré lui lorsqu’il s’appelle Pétrin, ou celle d’un directeur de la danse de l’Opéra de Paris quand il se nomme Benjamin Millepied. Lui, il s’appelle Romand. Romand comme un roman. Autant dire, à l’instar du Larousse, une " œuvre d’imagination  (…) dont l'intérêt est dans la narration d'aventures, l'étude de mœurs ou de caractères, l'analyse de sentiments ou de passions, la représentation du réel ou de diverses données objectives et subjectives. "
Comment ne pas se poser la question : et si tout découlait de là ?
Sa vie sera cela, une « œuvre d’imagination », un roman. Un roman longtemps rose en apparence et qui, d’un coup, sans prévenir, vire au roman noir. Les romanciers souvent racontent qu’au fil de l’écriture, leurs personnages leur échappent et vivent leur propre vie, que c’est eux qui mènent la danse. La vie romancée de Jean-Claude Romand un jour lui a échappé, la sorte d’autofiction qu’il avait bâtie lui a glissé des mains et tout s’est fracassé lorsqu’il a dû la confronter à la réalité. Il n’y avait plus moyen de prolonger la fiction, alors il a fallu annuler le réel. Cela s’est fait dans le sang. Sa femme. Ses enfants. Ses parents. Florence Romand, 37 ans. Caroline et Antoine Romand, 7 et 5 ans. Aimé et Anne-Marie Romand, 75 et 70 ans. Tués dans cet ordre. Plus de témoins de la béance entre Romand et son roman. Plus que lui, seul, face à son vide, face à une vérité d’autant plus terrible qu’elle s’apparente à un désert. Comme l’écrit Emmanuel Carrère dans L’Adversaire, le puissant « roman » qu’il a consacré à cette affaire : « Un mensonge, normalement, sert à recouvrir une vérité, quelque chose de honteux peut-être mais de réel. Le sien ne recouvrait rien. Sous le faux docteur Romand il n’y avait pas de vrai docteur Romand. »
Toute l’histoire de la tragédie qui se déroule le 9 janvier 1993 à Prévessin-Moëns et Clairvaux-les-Lacs, dans ces départements que sont l’Ain et le Jura, est résumée dans ces quelques mots : il n’y a pas de vrai docteur Romand. Jean-Claude Romand n’est pas médecin, il ne l’a jamais été. Il n’est pas chercheur à l’Organisation mondiale de la santé. Il ne donne pas de cours. Il n’a pas de bureau. Il n’a pas de salaire, pas de sécurité sociale, pas d’argent. Jean-Claude Romand, tel que chacun le connaît depuis toujours, sa famille, ses amis, est une illusion. Et parce que cette illusion patiemment élaborée durant dix-huit ans menace de se dévoiler, parce que cette fiction parfaite du mari parfait, du père parfait, du fils parfait, du scientifique parfait est sur le point de s’écrouler, il n’a plus qu’une seule solution : la mort. Ç’aurait pu être la sienne. Ce sera celle des autres…

LA SUITE EST DANS LE LIVRE…

vendredi 21 août 2015

Grand livre des faits divers : l'eau à la bouche


Mon nouveau livre, Le Grand livre des faits divers (éd. Hors Collection), co-écrit avec Nathalie Weil, est en librairie depuis hier. Pour vous donner un aperçu de ce gros volume, en voici l'avant-propos…

Combien d’affaires dans ces pages, combien de faits divers terribles, sanglants, sordides réunis ici ? Plus de soixante-dix, ce qui n’est pas peu, on en conviendra. Mais combien de crimes cela recouvre-t-il, combien de morts violentes, combien de cadavres semés de chapitre en chapitre ? Le compte serait effarant à coup sûr, nombre des meurtriers assemblés dans cet ouvrage ne s’étant pas contentés de tuer une fois : deux morts pour les sœurs Papin, quatre pour Marc Dutroux, cinq pour Jean-Claude Romand, sept pour Michel Fourniret, une dizaine pour Jeanne Weber, onze pour l’élégant Landru, dix-huit pour Thierry Paulin…  Triste et tragique comptabilité qui ne dit rien de la réalité de ces histoires, ni du désarroi des victimes, ni du parcours et des motivations des coupables. Pas question, on le comprendra, d’établir ici des records ou des palmarès de l’horreur, mais bien d’essayer de saisir les ressorts profonds de ces actes, d’approcher un peu du mystère de ces tueuses et de ces tueurs qui ont, chacun à leur manière, défrayé la chronique au cours des dernières décennies.

Pour y parvenir, nous avons regroupé ces affaires, qui couvrent tout le XXe siècle dans notre pays (à quelques exceptions et ouvertures internationales près), en diverses catégories thématiques, selon des critères de différentes natures : le mobile des criminels, leur motivation, leur mode opératoire, leur profil, le lien particulier qui les unit à leurs victimes, etc. : crimes familiaux ou en série, crimes vénaux ou par passion, crimes de haine ou crimes de couple… À chaque fois, avant de plonger dans le grand bain du récit de crimes emblématiques, nous avons tenté de faire apparaître les caractéristiques spécifiques de chacune de ces catégories, d’en souligner les traits communs et les lignes de force. À chaque fois également, nous avons choisi d’aller plus loin que la seule psychologie ou que l’éclairage d’autres disciplines pour décrypter ces histoires en s’aventurant du côté des artistes : comment la littérature, le cinéma, le théâtre… s’emparent d’un crime réel et en font autre chose, une œuvre subjective, une relecture complète, qui marque les esprits et, parfois, s’impose sur la réalité.

En multipliant ainsi les angles pour parler des faits divers, nous avons voulu cerner non seulement les tenants et aboutissants de ces affaires, non seulement leurs récurences, leur contexte, leurs répercussions, non seulement le profil des criminels… mais aussi la fascination que ces histoires de sang et de mort exercent depuis toujours sur l’opinion publique en général et sur chacun d’entre nous en particulier : c’est ce dont témoigne la multiplication à l’infini de comptes-rendus dans la presse, d’ouvrages de toute nature et d’émissions de télévision aux scores d’audience flatteurs.
Cette popularité du crime ne se dément pas, bien au contraire, au fil du temps. Pourtant, suivant les périodes, ce ne sont pas toujours les mêmes types de crimes qui font la « une » des journaux et bouleversent leurs lecteurs : les assassinats d’enfants sont depuis longtemps considérés comme les pires, les plus abjects, ceux qui les commettent présentés comme les pires des monstres. Ranucci, Patrick Henry, petit Gregory… on ne compte plus les affaires dont les enfants furent les victimes qui ont ainsi bouleversé la France. Depuis quelques années, bien aidés par l’inflation de films les mettant en scène, les tueurs en série et leurs macabres parcours les ont rejoint au fronton médiatique du fait divers.

Chaque époque a ses crimes représentatifs et symboliques, et certaines de ces affaires sont entrées dans l’Histoire, soit par leur résonance dans la société, soit par les débats qu’elles ont alimentés, accompagnant parfois des changements législatifs majeurs, notamment autour de la peine de mort et de son abolition : de ces échos, qui dépassent le seul cadre des faits divers relatés dans ce livre, nous avons également voulu porter témoignage.

Pour autant, aussi large que soit le panorama du crime que nous avons voulu saisir, il n’en reste pas moins partiel. Les catégories que nous avons identifiées et déclinées ont beau être vastes, elles ne couvrent pas tout le champ des possibles : on ne croisera pas dans ces pages de morts consécutives à des violences conjugales, pas non plus d’assassinats liés au terrorisme ou de morts découlant d’actes de grand banditisme… Pourquoi ? Parce que nous avons choisi de ne pas traiter des morts accidentelles (suite à des coups mais sans intention de tuer, ou de fusillades pour protéger une fuite…) ni des crimes idéologiques commis par un groupe (politique le plus souvent) constitué.

En dépit de ces absences, parcourir ce livre, c’est constater l’immensité du continent criminel. C’est aussi en percevoir l’infinie complexité : il n’y a jamais une cause unique à un crime, jamais une seule explication n’est suffisante pour le percer à jour. Et nous ne prétendons pas épuiser l’énigme des motivations humaines. L’organisation des chapitres de cet ouvrage en porte la trace : les faits divers qui y sont racontés ne se limitent pas à la catégorie dans laquelle ils sont classés. La plupart les excèdent, correspondent à l’évidence à l’une tout en relevant aussi d’une ou plusieurs autres. Marc Dutroux, par exemple, abordé dans le chapitre « Séquestrations » est aussi un tueur en série, et il est coupable de crimes envers des enfants… Nous l’avons rangé dans cette catégorie parce que cette dimension de ces crimes — l’enfermement, pour de longues périodes, de ses victimes avant leur mort — est très singulière, très marquante et, pour tout dire, déterminante dans l’appréhension de ses actes. Cette porosité entre les histoires et les chapitres confirme bien, au-delà des drames qu’ils recouvrent, l’incroyable richesse humaine et psychologique des faits divers. C’est ce qui les rend captivants, insaisissables, passionnants. C’est ce que nous avons eu l’ambition de transcrire avec ce livre…



jeudi 20 août 2015

Mon nouveau livre en librairie ce 20 août !

Le Grand Livre des faits divers, mon nouveau livre co-écrit avec Nathalie Weil, est en librairie. Il est grand, il est beau, il est formidable avec ses 70 histoires de grandes affaires du XXè siècle (d'Eugen Weidmann à Marc Dutroux, des sœurs Papin à Thierry Paulin, de Jeanne Weber à Jean-Claude Romand…), ses catégories de crimes analysées (crimes familiaux, en série, vénaux, sur enfants…) et ses ouvertures sur les œuvres culturelles inspirées par ces faits divers qui ont marqué leur époque. Il est publié aux éditions Hors Collection.


mardi 4 août 2015

A vif !, chronique pour Hétéroclite (mai 2015)

Deux romans qui s'efforcent de débroussailler la mémoire de leur héros, et le secret gay qui y est enfoui. L'un est une réussite, l'autre beaucoup moins. Pourquoi ? C'est ce que j'essaie de démêler dans cette livraison de ma chronique culturelle d'Hétéroclite, Feux croisés.

Au début, ce n'est pas douloureux. A peine plus qu'une légère démangeaison. On s'en rend à peine compte. On effleure d'un ongle distrait et puis cela passe, on l'oublie presque. Mais il suffit de gratter, doucement d'abord, puis plus intensément, plus régulièrement, et voilà que ça obsède, que ça occupe tout l'espace de nos pensées. On ne peut s'empêcher de gratter encore et encore, jusqu'au sang, jusqu'à s'en arracher la peau. C'est devenu vital de se débarrasser de cette rougeur, qu'importe ce que l'on trouvera dessous, et tant pis si cela doit faire plus mal de mettre à vif. Au début, pour le jeune héros de Une autre époque, ce n'est pas douloureux cette absence de son père. Il ne l'a jamais connu, juste une photo dans sa chambre, ne s'est jamais intéressé à sa vie ni à sa mort, quelques semaines à peine après sa naissance. En regardant un beau jour cette photo unique, il remarque un détail, une montre qui aurait pu être son héritage et qu'il n'a jamais eue… Il a 17 ans, et il commence à gratter, gratter, gratter jusqu'à mettre à nu à non les non-dits, les secrets, les amours cachées, les désirs interdits, la honte venue de ces lointaines années 50, la passion tragique… Il y a quelque chose de Modiano dans la manière dont Alain-Claude Sulzer remonte le temps, marche sur les traces du passé à la suite de son jeune héros, se heurte aux fantômes, aux adresses perdues, aux silhouettes surgies du néant, aux vies qu'il n'avait jamais imaginées. Un Modiano hanté par la question de l'homosexualité, comme dans ce Garçon parfait grâce auquel on avait découvert l'écrivain suisse et son écriture diaphane, tout en délicatesse et effleurements des sentiments, presque rien, c'est-à-dire l'essentiel. 
Tout le contraire du clinquant à l'œuvre ailleurs, dans ces livres "révélation" à la Richie, l'enquête de Raphaëlle Bacqué sur l'ex-directeur de Sciences Po, Richard Descoings, et ses sulfureux désirs. Elle gratte elle aussi, comme par habitude, elle dévoile elle aussi, des secrets d'alcôves, des anecdotes scandaleuses, un couple puissant (Descoings et le patron de la SNCF), pourquoi pas un lobby gay… C'est écrit comme un long article, à coup de formules et d'images choc. C'est un peu triste, un peu vain. Il n'y a pas grand chose à y lire une fois que l'on connaît les faits…

Alain Claude Sulzer, Une autre époque, éd. Actes Sud/Babel
Raphaëlle Bacqué, Richie, éd. Grasset.

Mourir, la belle affaire…, chronique pour Hétéroclite (avr. 2015)


Je rends hommage dans Feux croisés, ma chronique culturelle pour Hétéroclite, à l'écrivain Eric Jourdan, mort dans l'indifférence quasi générale des médias.

Il faut parfois la mort pour que des noms resurgissent de l'oubli. C'est triste et c'est terrible, mais la force des artistes et des écrivains, pour peu qu'ils aient du talent, est de se survivre en dépit des aléas des temps et des modes. Début février, Eric Jourdan est mort, et il y a fort à parier que cela ne dit pas grand-chose à grand monde. Peut-être est-ce lié à cette discrétion qu'il choisit toute sa vie. Peut-être est-ce lié à une œuvre souvent réduite à un roman d'adolescence dont l'incandescence pédée lui valut, en 1955, d'être censuré pour trois décennies. Peut-être est-ce lié à l'ombre portée de son père adoptif, l'un des grands auteurs classiques du siècle dernier, à l'homosexualité tourmentée par sa foi, Julien Green. On ne lit plus guère d'ailleurs, et on a bien tort, ni l'un ni l'autre. Il y a quelque chose d'impressionnant, de marmoréen, d'intimidant dans sa rigueur dont on comprend qu'elle retienne de se plonger dans Green, en dépit de la beauté de langue et de la lutte intime qui s'y joue entre le corps et l'aspiration au divin. 
Mais Jourdan c'est tout autre chose, une écriture solaire, violente, crue, lyrique, des sentiments exacerbés, des désirs qui s'incarnent ô combien. Il suffit pour s'en convaincre d'ouvrir Les Mauvais Anges, ce roman-scandale que Jourdan rédigea à l'âge de 16 ans et qui relate la passion sensuelle et charnelle de deux cousins un bel été en touraine. Peu à peu, l'exaltation de la passion fait place à une tragédie inéluctable, celle, sublime, d'une jeunesse sans concession. C'est beau, cruel, troublant, d'une liberté qui donne le frisson, à la fois très classique dans le style et profondément transgressif : ce sera toujours la marque d'Eric Jourdan. Longtemps introuvable, son œuvre est dispersée chez divers éditeurs, parfois en poche. C'est le cas de ses Anges si sexués bien sûr, mais aussi de ces textes puissants, hantés par le désir, l'histoire, le destin et la beauté des jeunes hommes que sont Saccage, Le Garçon de joie, Le Songe d'Alcibiade ou Lieutenant Darnancourt. Il faut lire Jourdan, parce que la mort n'est pas une fin.